Cour de Cassation, 1re civ., 10 sept. 2014, n° 13-14.629, FS-P+B, Crémer c/ SA Éditions Dargaud
Faits et procédure : Mmes Hillion Crémer, Marie-Clémentine et Constance Crémer (les consorts Crémer), veuve et filles de l'acteur Bruno Crémer, ont repris l'instance par laquelle celui-ci avait assigné la société Éditions Dargaud (la société), à laquelle il reprochait d'avoir publié, en 2008 et 2009, deux albums de bandes dessinées qui, intitulés « Crémèr et le maillon faible de Sumatra », puis « Crémèr et l'enquête intérieure », renvoyaient l'un et l'autre au rôle du commissaire Maigret, tiré des romans de Georges Simenon, et joué par le comédien dans cinquante-quatre téléfilms. Les plaignants reprochent aux Editions Dargaud d’avoir porté atteinte à la vie privée de Bruno Crémer en utilisant son nom et son image sans autorisation préalable. Par ailleurs, ils réclament des dommages et intérêts aux motifs que les bandes dessinées (BD) litigieuses portent également atteinte à l’interprétation cinématographique de l’acteur. Ils demandent subsidiairement le retrait des albums de la vente et l’interdiction de les diffuser.
Décision de la Cour de cassation : « Attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, constatant une atteinte portée à la vie privée de Bruno Crémer par la société, mais écartant la condamnation demandée de celle-ci à cesser la diffusion des deux albums litigieux et toute publicité à leur propos, a estimé suffisante l'allocation de dommages-intérêts et l'obligation à elle faite, sous astreinte et dans les quinze jours de la signification, d'apposer, sur tout exemplaire des ouvrages offert à la vente, la mention en page de couverture de sa condamnation à réparer les préjudices moraux et matériels subis par le comédien ; que le moyen ne peut qu'être écarté ; ».
Commentaire : Voilà une décision intéressante puisqu’elle précise en substance qu’en matière d’humour il existe des limites. Que par conséquent, si celles-ci ne sont pas dépassées, il n’y a pas lieu de condamner l’humoriste. En l’espèce, la famille Crémer a gagné son procès en ce qui concerne la violation de la vie privée du défunt Bruno Crémer alias le commissaire Maigret. Pour autant, leur demande visant à interdire la diffusion et la promotion des bandes dessinées litigieuses a été écartée. Les juges du fond ayant relevé que la lecture des BD « montre que l'intention des auteurs n'a pas été d'offrir une version dégradée de l'interprétation qu'assumait avec application et sérieux Bruno Crémer et d'avilir le jeu de l'acteur, mais de tirer parti du décalage entre les enquêtes fictives du « commissaire Crémèr » et l'interprétation que le public avait coutume de voir lors de la diffusion de la série télévisée, la parodie se révélant substantiellement différente de l'interprétation parodiée… ». Qu’en effet, bien que les BD donnent du « commissaire Crémèr » une image particulièrement ridicule et dévalorisante, notamment du fait des situations dans lesquelles il se retrouve, de sa nudité affichée, de son manque de compétence ou encore des idées qui lui sont attribuées, leur lecture montre que l'intention des auteurs n'a pas été d'offrir une version dégradée de l'interprétation qu'assumait avec application et sérieux Bruno Crémer et d'avilir le jeu de l'acteur.
On voit bien dans cette affaire que la liberté d'expression n'est pas absolue. Dès lors que l'on ne respecte pas le cadre général posé par la loi, la censure est immédiate. En l'espèce, les auteurs mis en cause n'ont pas demandé les autorisations requises à Monsieur Crémer. En revanche, le caractère humoristique des BD est reconnu comme tel par les juges qui rejettent alors la sanction d'interdiction de diffusion qui ne se justifie pas en l'espèce. Insistons sur l'intention des auteurs. A partir du moment où elle apparaît clairement comme une intention de faire de l'humour, il n' y a pas lieu de sanctionner cet exercice. On peut donc en déduire que la liberté d'expression doit s'exercer dans un cadre respectueux de la loi générale. Certes, il est possible que l'on se sente offensé par l'humour d'autrui pour autant l'offense n'est pas l'injure et il convient au nom de Charlie de s'en souvenir encore une fois.
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